Piste d'écriture: plusieurs images, choisies, ordonnées puis organisées en une histoire.
Liberté
Elle :
Je suis là, sur le banc de ce port, à guetter au-delà de cet océan ton arrivée. Mais cela est utopique. Oui mon amour je sais le calvaire que tu endures. Moi j’ai fui l’enfer qu’était devenu notre nation. Mais toi tu as été pris dans ses tenailles…
Sans toi, dans quelle solitude je me retrouve. Ce pays où je suis obligée d’évoluer me désoriente. Il est apparemment accueillant mais je ne le comprends pas. Rien ne me rappelle d’où je viens, ni la langue, ni les odeurs, ni même le visage des gens… Même cette banquette, d’un blanc terni, et ravinée par la pluie salée, est différente de notre banc.
J’ai la nostalgie de ce banc où nous avions l’habitude de caresser, de poursuivre nos rêves. Toujours le même, dans le parc de l’université où tu enseignais. Il était d’un vert un peu usé, il s’écaillait doucement sous mes doigts.
Toi, tu philosophais sur l’être humain pour comprendre pourquoi certains étaient des tyrans, oui tu voulais aller explorer ces cerveaux qui pouvaient déployer tant de cruauté… oui tu voulais réformer ce monde, tu voulais que notre société prenne en compte chaque être humain, pour que ce passage sur la terre leur soit agréable.
Je levais la tête vers le bassin aux nénuphars et te faisais remarquer qu’une nouvelle corolle jaune avait éclos. Tu souriais un moment, puis tu reprenais, emporté par ta passion.
Tu défendais la liberté de conscience qui est le droit de toute personne à penser comme elle le souhaite, et la liberté d’expression, qui est celle d’exprimer ses opinions par tous les moyens qu’elle juge opportun dans les domaines de la politique, de la religion, de la morale, tout cela dans le respect d’autrui.
C’était bien beau tout cela mon chéri, mais j’avais soif, et je te rappelais que j’avais droit moi aussi au respect du thé. Alors nous nous dirigions vers l’une des tables sous le saule, et je sortais mon thermos de thé au jasmin. Nous le savourions en contemplant, au-delà des bâtiments universitaires, au toit plat, les montagnes au loin.
Autour de nous, les étudiants discutaient, certains te reconnaissant te saluaient ; sous les arbres, j’en voyais qui faisaient leur taï-chi… Tout cela me parlait du respect d’autrui que tu évoquais si bien.
Mais ce livre que tu as écrit n’a pas plu à nos dirigeants. Il a été immédiatement censuré, et te voilà en prison.
Mais mon chéri ne désespère pas, je serai toujours là pour te soutenir, même à des milliers de kilomètres. Je vais tout faire pour qu’il soit traduit et édité ici, j’ai pu sortir une copie qu’ils n’avaient pas détruite, et l’on saura que tu as été seulement contre la répression et contre la corruption, que tes écrits étaient seulement contre cela. Leurs accusations de traitrise sont fausses.
Je veux croire comme toi qu’un jour l’être humain sera protégé de la tyrannie, sera libre de penser, d’aimer, et tout simplement de vivre dans la sérénité. La sérénité qu’il souhaite, celle de voir éclore les fleurs du printemps depuis un banc, ou celle d’écouter du rock après s’être teint les cheveux en rose cerisier.
Lui :
Je suis là dans ma petite cellule, je suis voué à la solitude, mais cette solitude que je n’ai pas choisie stimule ma réflexion. Non personne ne m’obligera à changer ma façon de penser. Même si la prison est un lieu terrifiant. Depuis six mois je suis à l’isolement, sans papier ni crayon, sans même un livre. Mais j’écris dans ma tête, et j’apprends par cœur.
Comme ont fait mes étudiants, pour certains en tout cas : mon livre a été pilonné, mais ils en ont retenu des passages. Ils continuent de penser, malgré la chape de plomb qui s’est abattue sur le pays.
Par ma fenêtre grillagée, j’aperçois un petit bout de ciel, bleu et rose ce matin. Alors je pense à toi, mon amour, même si je ne peux pas t’écrire.
Je ne peux même pas ouvrir cette fenêtre, mais un jour ce sont les portes de ce pays qui s’ouvriront et enfin ma chérie nous connaitrons un bonheur où le stress, la peur, la souffrance ne seront plus les maîtres. Nous pourrons aller et venir sans entraves, nous serons libres, sans violence et en respectant les droits des hommes.
Par-delà l’océan, ton amour m’aide à tenir.