parcDeux jours plus tard, Angèle retrouve Agathe dans un parc. Il est 10 heures du matin, seuls quelques joggeurs l'occupent.

«  - Alors, pourquoi tu m'as appelée ?, demande Agathe

-        J'ai reçu un appel il y a quelques jours. On me propose un poste dans « l'entreprise ».

-        L'entreprise ? Déjà ? Je suis surprise. Elles t'ont envoyé le colis ?

-        Oui, je l'ai récupéré la veille. Une coupe en métal. Affreuse.

-        J'ai eu un pot en métal qui pesait une vingtaine de kilos. Une horreur ! Tu vois ces pots qu'on utilise pour y planter des arbres ? ENORME ! Il a fallu que je le garde six mois dans mon appartement. J'ai dû acheter un olivier pour mettre dedans... Remarque, c'est joli un olivier.

-        D'accord, je ne me plains pas. Pour en revenir à ce que je disais, tu peux me donner des renseignements sur l'entreprise ? Quel genre de travail j'y ferai ?

-        C'est une société de télé-marketing. Tu vas commencer par appeler des personnes pour leur proposer des produits. De vrais produits, la société est réelle. Au bout de quelques mois, tu auras une espèce de formation et tu passeras cadre. Bon salaire, horaires libres... Tu es censée t'occuper des contacts avec les différents fournisseurs et avec les clients. En réalité, la plupart d'entre eux ont bénéficié de nos services. La Matriarche a acquis beaucoup d'influence au cours du temps. Tu n'imagines pas combien nous sommes. Donc les relations sont déjà établies depuis plusieurs années. Il y a quelques vrais employés qui effectuent tout le travail nécessaire. Ils sont au courant de la double nature de l'activité de l'entreprise.

-        Ce n'est pas risqué que tant de personnes soient au courant ?

-        Elles sont dévouées. Et elles ont eu recours à nos services : on mène beaucoup d'enquêtes en tant que détectives privés. C'est une profession autorisée mais si ça se savait, ça risquerait d'attirer un peu trop l'attention sur nous. On ne se charge pas toujours des bourreaux que nous découvrons. Parfois on ne fait que rassembler les preuves nécessaires. Notre travail d'enquête a moins de limites que celui des policiers. Quand il s'agit « seulement » d'une femme battue, on n'intervient pas directement, il y en a beaucoup trop. Par contre,  on peut leur faire peur. Ou laisser le soin au frère, au père de la victime de s'en charger. Ils ont parfois juste besoin d'une confirmation. Bref, pratiquement tous ceux qui « savent » ne connaissent que les activités de détectives privés. Donc on est protégé. L'Organisation existe depuis plus de deux cents ans, personne n'a jamais été emprisonné. On a vu quelques arrestations mais sans suite.

-        En fait je ne connais pas grand chose sur l'Organisation. Qu'est-ce que je vais faire si je ne travaille pas vraiment ?

-        Tu peux vraiment travailler : tu auras une vraie formation. Mais tu peux aussi avoir une activité parallèle, en général du bénévolat. Vu le salaire, c'est assez difficile de justifier d'un second travail rémunéré. Mais tu seras assez libre. Par contre, tu es obligée de passer par la première étape, les appels téléphoniques.

-        Appeler les gens chez eux pour leur demander d'acheter un produit amaigrissant ?

-        Exactement ! C'est le sens de l'humour particulier de la Matriarche. Tu te fais insulter, on te raccroche au nez et elle elle adore.

-        C'est bien ce que je pensais.

-        Tu auras des moments plus drôles, ne t'inquiètes pas ! Au bout d'un moment, tu finis par t'amuser.  Tu penses travailler à l'entreprise ?

-        Je ne crois pas. Ça ne m'intéresse pas du tout. Je ne suis même pas sûre d'accepter l'offre. Qu'est-ce que ça va changer au niveau des missions ?

-        En moyenne, tu auras deux missions de plus par an. Tu en es à combien ?

-        Deux par an.

-        Oui voilà, tu en auras quatre ou cinq. Des cas plus difficiles, des hommes influents, protégés et la méthode sera plus compliquée ou plus risquée. Tu auras aussi la possibilité de mener les enquêtes, si tu es bonne pour ça. Tu viendras avec moi pour tes premières fois, vu que je suis ta référente. D'ici un ou deux ans, tu deviendras à ton tour la référente d'une active.

-        Et pour le suivi psychologique ?

-        Obligatoire, comme maintenant.

-        Évidemment.

-        On m'a dit que tu étais récalcitrante mais c'est important. Enfin, bref. Comment tu vas ?

-        Ça va. Je vais devoir m'occuper de mon patron.

-        Besoin d'aide ?

-        Non.

-        Tu me tiendras au courant quand même. Tu en es où avec Loïc ?

-        Je l'ai pas rappelé depuis la dernière fois. Le repas au restaurant ne s'est pas très bien passé. Il a partagé la note en deux.

-        Juste pour ça ?

-        Il avait dit qu'il m'invitait. Question de principe. Si tu avais vu sa façon de manger. Un vrai porc. Il a même roté.

-        Il a essayé de le cacher ?

-        Oui, mais avec une discrétion hors du commun. Et toi ?

-        J'ai rencontré un homme fantastique ! Un dieu au lit !

-        Tu peux m'épargner les détails. Quel âge ?

-        Cinquante ans.

-        Effectivement.

-        Il a de l'expérience, ça change tout.

-        Et dix ans de plus que toi.

-        Un détail.

-        On en reparlera dans un mois.

-        Je te rappelle que je suis ton aînée.

-        Mais tu as gardé l'esprit de tes vingt ans.Heureusement que tu m'as pour te raisonner un minimum.

-        Ahah, si tu le dis. Allez, il faut que je rentre. Tu devrais accepter l'offre : il n'y a que des avantages. Passe une bonne journée.

-        Oui, toi aussi. »

 

            Agathe repart et laisse Angèle seule avec ses pensées. Il est 11 heures. Elle commence le travail à 14 heures. Il faut qu'elle réfléchisse à un plan, pour son patron.