Piste d'écriture: la lettre, ou du moins l'adresse à un absent. 

LETTRE À L’ENVOLÉE

 

Je ne sais pas pourquoi j’ai tant tardé à t’écrire. Bien des jours ont passé sans que je réalise que tu étais partie. Je te cherchais d’une pièce à l’autre, je croyais t’entendre dans la salle de bains où ton parfum était signe de présence, je me persuadais que tel objet avait changé de place, j’entendais tourner ta clef dans la serrure. Mais tu n’as pas emporté tes clefs, elles sont toujours là, accrochées à ce joli panneau que tu avais acheté. Tu disais « Quand je rentre, d’un seul coup d’œil je peux savoir si tu es là ». Aujourd’hui ton trousseau est bien là, toi non.

Ne crois pas que je mélancolise à tout instant en pleurnichant sur le canapé. Je sais encore m’installer dans mon fauteuil préféré pour boire un verre de ce Malvoisie vintage que nous avions rapporté de Madère. À propos, tu aurais pu emporter la bouteille entamée et me laisser la pleine. Et puis je ne retrouve pas les jolis verres en cristal gravé où nous le dégustions. Les as-tu cassés ? J’aurais dû regarder dans la poubelle.

Car tu as laissé la poubelle pleine, et aussi la corbeille à papiers avec toutes tes revues féminines. Eh bien, je ne les ai pas jetées, je les feuillette de temps en temps, j’y repère des robes qui t’iraient bien, un sac que j’aimerais t’offrir, un bijou original. L’autre jour j’ai lu que les ‘bracelets manchettes’ étaient à le mode. J’avoue que je n’ai pas pu m’empêcher d’en acheter un, c’était le jour de ton anniversaire. Il est là, dans sa boite enrubannée, garnie d’une rose, insolite signe féminin parmi le bordel de mon bureau.

Qu’est-ce que j’ai fait pour que ça nous arrive ? Ce n’est tout de même pas cette aventure éphémère avec mon assistante au cours d’un déplacement de deux jours ? Je t’avais raconté toutes ses mimiques aguicheuses et comment on avait parié avec les copains, nous en avions bien ri. Je crois plutôt que j’ai vieilli. Toi aussi sans doute. Au début, c’était si merveilleux de découvrir les bonheurs quotidiens de la vie à deux, le coup de peigne que tu te donnais dès que tu entendais  mes pas dans l’escalier, le bouquet que j’apportais à l’improviste et toi qui avais eu le même idée, les détours inutiles d’une pièce à l’autre pour le seul plaisir de se croiser.

Et puis on s’habitue au bonheur, il est installé, il est devenu un décor familier et rassurant. C’est un peu ce qui s’est passé avec notre chat. Tu te rappelles comme il nous amusait, comme nous passions du temps à lui lancer une petite souris en peluche pour le voir sauter, se rouler sur le tapis avec tant de grâce. Ensuite le chaton est devenu adulte, il faisait partie de nos meubles, nous avions avec lui des rapports pratiques, nourriciers, une caresse de temps en temps. Ça me fait penser que je ne sais pas où tu achetais ses croquettes favorites, alors je lui en donne d’autres, mais il ne les aime pas beaucoup, j’ai l’impression qu’il me fait la gueule, peut-être qu’il va partir un jour, lui aussi.

Je ne sais pas comment c’est pour toi, mais se retrouver un homme seul après avoir vécu à deux, ce n’est  pas redevenir célibataire comme avant. Avant, à chaque instant se présentaient des carrefours d’où partaient  plusieurs sentiers alléchants, on se lançait dans l’un d’eux sans réfléchir, on chassait la nouveauté et le plaisir sans états d’âme. Maintenant, plus de carrefours, le chemin est droit et monotone, il semble ne conduire que vers un avenir brumeux où on ne distingue pas précisément ce qui peut arriver.

 Je revois quelques amis, même celui que je n’aimais pas parce qu’il te faisait du gringue, maintenant je ne crains plus rien. Ceux qui sont restés en couple m’agacent, contraints par des horaires, des rendez-vous avec madame, des visites à la belle famille. C’est vrai qu’on a vécu cela aussi ? À l’époque il me semble que ça ne me pesait pas. Et les autres, les redevenus ‘libres’, qu’ils disent, ils ne sont pas marrants non plus. Il y a les fringants qui sont repartis à la chasse, vers d’autres chaînes, qui me gonflent avec le récit de leurs conquêtes, vraies ou fausses. Les veufs qui trouvent que j’ai de la chance de te savoir toujours quelque part où je peux t’écrire, te téléphoner peut-être et, qui sait, repartir ensemble un jour pour de nouvelles aventures. Tu crois, toi, que ce serait possible ? Non, je le devine, je te vois hausser les épaules en levant les yeux au ciel, quel innocent celui-là !

Il ne me reste plus qu’à occuper mes loisirs, de façon sportive par exemple. J’ai décidé de me remettre à la pêche. Tu pourrais me dire ce que tu as fait de mes grandes bottes montantes ? Dans quel recoin introuvable tu les as planquées parce que tu n’aimais pas mon ancienne passion pour la pêche ? J’avais pourtant essayé de te convertir, la beauté des torrents, la fraîcheur humide des rives, l’exaltation d’uns belle prise……Bon, je ne vais pas recommencer et d’abord tu n’aimes pas le poisson, ça va, ça va.

Je viens de m’interrompre pour allumer une cigarette, sa fumée ne te dérangera pas. Je suis devant cette fin de page à remplir. Qu’écrire ? Mes regrets ? Il faudrait au moins dix feuilles. Mes griefs ? Il en faudrait tout autant. Ma colère ? A quoi bon. Ma vie de tous les jours ? La page resterait blanche. Je devrais insérer un petit dessin genre Peynet. Ça serait cucul, non ? Que veux-tu, quand on ne sait plus à quel saint se vouer, il reste Saint Valentin. Je vais lui édifier un petit autel, avec ta photo et une fleur toujours fraîche. Non, je rigole.

Je ne sais pas pourquoi mes lunettes viennent soudainement de s’embuer, j’ai du mal à écrire. Alors il ne me reste plus qu’à signer. Comment ? Ton Pygmalion, comme tu m’appelais ? Ton ex, comme tu dois dire maintenant ? Zut, je ne signe pas. Ciao.