Fin mai, la Comédie du Livre a réuni à Montpellier plusieurs auteurs italiens. Nous nous sommes inspirés de certaines phrases de leurs romans durant notre séance d'écriture. Danièle a choisi une phrase de Marco Lodoli, tirée de son roman Grand cirque déglingue, édité chez P.O.L. en 2016. Je la donne à la fin de ce texte, pour ne pas en déflorer le suspense....

Mission impossible? 

sourire-dix-pieds

Quand peut-on affirmer qu’un bon amateur rafle toutes les compétences d’un mauvais professionnel ? On peut être bon amateur en tout alors que le mauvais professionnel peut se targuer de réussir en rien.

Une certaine frénésie de l’action directe me tomba dessus ainsi que sur mes deux potes de l’association des déglingués de la ville à laquelle nous appartenions depuis belle lurette. Nous avions fait, tous les trois, nos classes dans un petit village des Pouilles avant d’espérer étendre notre champ d’investigation dans des villes plus cosmopolites…

Des fouilles dans les Pouilles, certes ! Mais nous avions envie d’aller creuser notre trou dans un Ailleurs plus solennel. Notre étiquette de bons et loyaux braconniers de l’insolite nous collait à la peau et même, sans quête d’une minime reconnaissance, nous parcourions l’inconnu avec une hâtive nonchalance. Les enjeux se jouaient de chacun de nous trois. On avait seulement la prétention de voler du plaisir à petit prix : là un sourire accroché aux lèvres d’une passante qu’il nous pressait d’offrir à ces malheureux assis, le regard dans le vague ; là des pleurs d’enfants qu’il nous importait de stopper net comme par magie ; là des conversations à bâtons rompus avec des inhibés de la parole, ceux qui, l’intérêt naissant, se perdaient alors dans d’incessants bavardages.

La tâche stimulait nos motivations et tels des apôtres du bonheur, nous n’avions qu’un souhait, partager le nôtre avec les déshérités de la vie. Nous nous étions formés à la transmission de paroles efficientes et porteuses de félicité. Avec notre bâton de pèlerin, on peut dire comme ça, on osa même plus. Notre mission devenait une certitude ou plutôt, la certitude d’un bien être façonna notre mission.

Il nous apparut bientôt que, même soigneusement préparés après un entraînement quotidien intensif, nous avions, finalement, besoin de l’aide de plus expérimenté que nous : un bon professionnel ! La décision s’imposa comme une évidence. Ce fut toutefois remplis d’appréhension que nous envisageâmes l’impossible.

Il y avait bien trop longtemps que Jésus respirait l’air vicié de Saint Pierre. Il fallait lui donner, à lui aussi, l’envie de s’enthousiasmer d’un rien ou de s’enflammer pour tout. Probablement, en notre compagnie, il retrouverait le goût de la pleine mesure de la vie, du temps qui passe. Il ne pourrait que se rendre compte, au hasard de nos rencontres, de la misère ambiante. On pouvait espérer que, prenant son rôle très au sérieux, il nous aiderait, dans sa grande miséricorde, à éradiquer malheurs, désordres, guerres. A mesure que nous réfléchissions tout haut, nous nous échauffions : nous ne doutions plus que lui, habitué aux miracles, mettrait toute son énergie divine à nous satisfaire.

Voler Jésus, pour la bonne cause, ça se préparait quand même.

Alors, pas de temps à perdre. Un apprentissage s’imposait. Même en ayant longuement réfléchi à la question !!! Il fallait se faire la main et prendre d’infinies précautions. Le rapt de Jésus, ce n’était quand même pas anodin !!

 

Phrase déclencheuse: Et dire que nous nous étions soigneusement préparés, de bons amateurs remplis d’appréhension : nous avions longuement réfléchi à la question et nous nous étions fait la main dans plusieurs églises de banlieue avant d’aller voler l’Enfant Jésus chez lui, à Saint-Pierre…. (Marco Lodoli, Grand cirque déglingue, P.O.L., 2016).
Photo: Un sourire d’enfant et dix pieds… une photo de Nimai Chandra Ghosh,
empruntée au site http://www.productionmyarts.com/blog/category/enfant/