Violaine aurait voulu que ce soit différent et que cette journée impacte son existence d’une toute autre manière, avec une noble attitude fière et affirmée. Son souffle saccadé, ses mains tremblantes lui prouvent qu’il n’en est rien. Elle observe Raphaël avec toute l’énergie d’une star vieillissante, proche du déclin. Lui, s’est approché d’elle, délicatement, désireux, sans doute, de lui signifier qu’elle a toujours autant de charme. Aujourd’hui, elle sait qu’il n’en est rien. Sa superbe s’est rompue emportant tout sur son passage : ses illusions, ses fausses ambitions et ses projets d’un proche et beau futur. Elle se retrouve, démunie, dépossédée de cette force, jusqu’alors souveraine.
Raphaël se doutait que dure serait la chute. Pourtant, il est là, se tait, écoute le silence qui cogne ses tempes. Mais il ne peut que dévoiler ses projets funestes à Violaine. De toute façon, elle sentait bien depuis leur dernière rencontre que la dégringolade avait commencé. Raphaël vient de lui asséner le coup de grâce avec une nonchalance bien étudiée. « Tu sais, finalement, j’ai réfléchi . . . Pour les enfants, ce sera mieux et puis, pour ma femme, il vaut mieux que je revienne vers elle. . . Elle ne fait pas face. Crois-moi, c’est mieux ainsi. Notre chemin s’arrête là. »
Mieux, mieux, mieux ! Violaine ne croit plus à rien. Elle se demande juste si son cœur ne va pas, lui aussi, s’arrêter, là, de battre. Elle serre avec force les lanières de son sac à dos lourd de tous les désirs qu’elle avait imaginés en descendant du train quelques minutes plus tôt. C’est ici, sur ce quai de gare, que Raphaël lui avait donné rendez-vous pour quelques jours de farniente amoureux. Chacun avait déjà parcouru une heure de transport, tout à la joie de retrouver l’autre. C’est ce qui fait mal à Violaine. Sa femme. .. ses enfants . . . la vie de sa femme . . . la vie de ses enfants !!! Tout se brouille. Violaine écrase ses sanglots dans une gorge endolorie faisant barrière à quelque son que ce soit. Non, elle ne se donnera pas en spectacle alors que, déjà, des regards inquisiteurs s’échangent sur ce quai bondé. Elle aimerait disparaître, maintenant, abandonnant tout ce que son corps meurtri affiche de désespoir.
« Tu peux prendre le prochain train . Tu n’auras pas beaucoup à attendre » lui murmure doucement Raphaël à l’oreille, histoire d’abréger une histoire sans trop d’histoires.
Cet homme qui se tient à côté d’elle vient de signer son plus beau rôle. Il vient en quelques phrases de tuer ce qui restait de douceur, de complicité entre eux. Elle ne peut s’empêcher de lorgner vers cette mèche folle brune qu’elle aimait tendrement tirailler. Elle ne la reconnaît plus. Elle se sent envahie d’une haine contrôlée, encore, par les dérives d’un espoir caché.
Raphaël, de lui-même, remet en place son épi récalcitrant et évite, ainsi, une dernière approche de mains frôlant son visage et son front. Si Violaine avait tenté cet effleurement ! Comment aurait-il réagi ? Non, il a pris sa décision, aussi douloureuse soit-elle. Elle est dictée, pense-t-il, par le bon sens et la raison. Violaine rebondira. C’est ce qu’il souhaite, d’ailleurs. Mais, pourquoi sa vie n’est-elle faite que de passions éphémères ? Il pensait, cette fois, que cette idylle, plus que naissante car installée depuis plusieurs mois, aurait des lendemains qui chantent.
Le temps court. Raphaël se sent comme un coureur qui termine une course pénible dont il ne sort pas vainqueur. Il aurait envie d’entamer une conversation, sans importance, avec des mots choisis dans un registre léger et joyeux. Mais les mots se meurent au bout des lèvres. Il regarde Violaine avec une réelle émotion contenue et respectueuse.
Violaine s’en veut d’avoir été aussi naïve de croire, un seul instant, qu’il serait venu, vers elle, à plein temps, après un moment de réflexion où, chacun avait tenu ses distances. Mais, le meilleur s’en est allé. Violaine va cultiver, elle le sait, une ère de conflits intérieurs. Pour l’heure, il faut reprendre le cours de sa vie en même temps que le train qui s’annonce en gare.
Piste d’écriture : un dérapage dans une vie… ou un glissement.