Au temps,

Voleur de l'eau 

que le temps emporte

(Hommage à Guillaume Apollinaire.)

 

Au bord du lac

les yeux fermés

oreilles ouvertes, indifférent

aux cris des mères et des baigneurs

 

J'aspire l'air directement

comme un criquet par des stigmates

par les côtés directement.

Car cet été je suis devenu

un être simplifié à l'extrême

 

Le rythme vibratoire des cils,

la pulsation rouge sous mes paupières

qui diffuse

à fleur de peau,

ces battements me rappellent

le pendule des gènes

les traits d' allèles

parallèles

jamais les mêmes

qui métamorphosent à l'infini,

et qui jamais ne reproduiront

jamais le même

 

Yeux verts ou yeux marrons ?

Que sera-t-il donc cet enfant 

qui dort encore dans le ventre de sa mère ?

 

Balancements de l'un à l'autre

l'un remplace l'autre

alternativement dans

la chaîne des générations

L'un succède à l'autre

comme étranger au précédent

Jamais le même

Mais tenant de lui

la vie

Comme l'amour après la haine

la joie revient 

après la peine

 

Et le bourgeon bouillonnant en gestation

fera un être

jamais le même

mais lequel ?

 

Depuis les temps immémoriaux

de son déclic indéfiniment

Il bat le temps

le vole à l'un

le donne à l'autre

tel une clepsydre

 

Métronome de bois enchâssé de métalModern_water_clock (1)

nul ne te trompe,

toi qui t'en va et vient et tourne

voleur de temps

d'un mouvement

perpétuel

qui prend à l'un et donne à l'autre

dans un  ressac incessamment

le temps

 

Et moi je me criquette je m'insecte

pour ne plus être l'homme

inscrit dans les générations

qui se dit :

 

« Ces arbres, ces enfants

en verront d'autres après moi

que je ne verrai pas

et qui riront après la peine

et que je ne verrai pas.

 

Horloge aux mouvements réciproques,

tu fais succéder un homme à l'autre

comme étranger au précédent

petit autant qu'il est grand

au teint mat autant qu'il est clair

Yeux bleus, yeux verts ?

Que sera cet enfant ?

 

Au bord du lac

infiniment les yeux fermés

oreilles ouvertes indifférent

aux cris des mères et des baigneurs

au bruit du vent

et au bruit sourd de l'eau qui chute

là bas au loin et qui

égrène le temps qui

ne reviendra pas

 

Au bord d'un lac

comme un criquet

j'aspire l'air directement

par des stigmates percés

dans mes côtes

Je suis un être simplifié à l'extrême

 

Le chemin du pendule bat,

métronomique,

il ne trompe pas

et sillonne

sans fatigue et sans peine,

les corps

à travers les âges

Il vole l'eau de vie de l'un

et la transmet à l'autre

Ainsi va la vie

 de l'un à l'autre

indéfiniment

 

Et nos amours
Faut-il qu’il m’en souvienne
La joie venait toujours après la peine.

cop. Paul Barry, 2019

Illustration: clepsydre moderne, Clepsydre moderne, musée Noria, l'espace de l'eau (Saint-Jean-du Bruel)