Piste d'écriture: un déménagement.

vincent bouliès Fenêtre

Il ne reste que trois jours, trois jours pleins à ras bords, les cartons, ne sont pas finis, le tri, le rangement de la chambre, du bureau, de la douche…. Steph s’en va ; il a été pendant trois ans notre ami, notre frère, notre adversaire au jeu de cartes, parfois cuisinier, hélas… Steph l’imprévu, le romantique, le copain de sixième, entré en FacEco ici, trop loin de chez lui, vivant avec nous. 

« N’oublie pas les fossiles ! » me crie-t-il, chaque étagère de la chambre croulent sous de nombreux livres mais surtout un fatras de cailloux !

« Pourquoi emportes-tu tout ça ? » Il arrête d’emballer et me regarde, ahuri.

« Mais ce n’est pas n’importe quoi ! Il y a dans la région des mines de fossiles, et je devrais m’en priver ? Mets-les dans un carton et surtout indique le contenu sur le couvercle. »

Je range méticuleusement chaque pierre, un papier entre chaque couche, je respecte leur âge, mais ne peux m’empêcher d’en rire aussi en douce… 

« Passe moi cette grosse enveloppe », dit Steph, en s’écroulant à côté de moi ; nous déballons ensemble, à plat ventre sur le tapis..

« Ça, c’était La Rochelle la première année, je venais d’arriver, premier week-end ici à la Belle Hélène, tu te souviens ? pourquoi ce nom ? tu m’avais expliqué que ton père ayant toutes les audaces et adorant ta mère, avait fait peindre ce nom au-dessus de la porte !   

 Grande tablée au soleil, là c’est l’an dernier, j’étais arrivé fin septembre, les vendanges dans ta famille… »  

« C’était ta première cuite ? dis-je, et cette photo de Cathy ? et cette autre à la plage, et.. »

« Laisse ça tranquille », me dit-il. 

 « Oh, c’est ma sœur ! cette enveloppe contient beaucoup de photos d’elle. Steph ? tu m’as caché quelque chose ?... »                

« Non, laisse tomber ! c’est si vieux tout ça.. »     

« J’insiste…. Tu étais amoureux ? »

« …Au début, oui, mais elle s’intéressait si peu à moi, j’ai parlé avec elle, souvent, mais nos univers s’opposaient, elle s’ennuyait avec moi, je l’ai vite remarqué, et puis Laurent est arrivé…. » (silence). « Passons à autre chose, il faut accélérer, je pars après demain. « 

Il se lève d’un bond et part ranger, puis terminer un carton. Je mets l’enveloppe dans un livre, elle resurgira un jour, par hasard, et ce sera comme toujours un moment du passé, une égratignure, ou une caresse encore sensible…

On a vidé l’armoire et les casiers près de la fenêtre, les cartons forment deux colonnes près de l’entrée, demain j’accompagnerai Steph chez lui, à Aix, le camion, loué, me ramènera.

Il me manquera, Steph, il a toujours été mon préféré, copain de classe, puis ami de la famille, quand il s’est installé à la maison, j’ai fait couper mes cheveux de gamine, pour changer, j’ai aussi acheté une robe, pour changer. Lors de mes années en Arts Déco, j’ai rempli un carton de croquis de vacances : Steph lisant, Steph au volley-ball, Steph rêvant sur un rocher, il n’a rien vu, rien su, rien deviné, …à quoi bon, nos univers sont différents, mais c’est dommage… et ça me fait toujours un drôle d’effet dans le corps quand j’y pense….