Piste d'écriture: des roses abandonnées sur la plage… un mot écrit avec des galets, devenu en partie illisible… une cabane en pierres sèches, qui grâce à des lunettes fichées dans le mât central semble nous regarder… Voici les éléments, photo à l'appui, dont s'inspirer.

Des roses roses à longue tige jonchaient le sable, leur pâleur résonnant contre les galets. Il était neuf heures du matin un dimanche d’avril, la lumière était belle, la mer inhabituellement calme, entre le bleu et l’émeraude. Les nuages viendraient l’après-midi, on le pressentait déjà, à ce trop grand calme pour une plage du Languedoc méditerranéen. De toute façon, la dégradation du temps était annoncée sur l’application météo de mon téléphone.

Je me demandai si, sans l’avertissement de mon i-phone, j’aurais eu le pressentiment du changement de temps. Il me sembla que oui, de légers nuages, un coton filé, dansaient au-dessus des courtes dunes, et pour ce qui est du beau temps durable, je n’ai confiance que dans le vent du nord. En attendant, c’était rudement agréable de marcher entre vaguelettes, sable et galets, sans se soucier du sifflement glacial dans ses oreilles – car le vent du nord n’apporte pas que le soleil.

Est-ce que les roses avaient eu le pressentiment de leur fin, abandonnées à peine fanées sur le sable ? Est-ce que celui, ou celle qui les avait achetées (les tiges étaient trop droites, sans épines, pour ne pas provenir d’un magasin), avait pensé qu’au matin suivant, elles auraient été oubliées là ?

Oubliées, ou jetées ?

Avaient-elle participé à un rituel amoureux, une mise en scène romantique ?

Mon compagnon me dit : « Il y a eu dispute et voilà, elle les a jetées ».

C’était tentant de penser cela, évidemment. Mais je n’étais pas convaincue. « Pourquoi elle, d’abord ? »

Pour une fois on s’entendait parler sur la plage, sans le vent dans les oreilles. Mon compagnon sourit. « Tu dirais, lui ? – Et pourquoi pas ? elle n’est pas venue, alors déçu il a laissé là ses roses. – Mais alors, elles seraient restées emballées. »

C’est vrai. Or, pas de cellophane. Des tiges nues. C’était cela le plus troublant : les roses avaient été touchées, offertes, adoubées.

Un bouquet de roses séchées sous leur cellophane, ça a vraiment quelque chose de mortuaire. C’est la petite fille effrayée par le cercueil en verre de Blanche-Neige qui parle, je sais ben. Une jeune fille aux joues pâles mais lèvres rouges, allongée dans un cercueil qui pare sa beauté, et qui attend allongée là des semaines durant, un morceau de pomme coincé dans sa gorge, que le prince charmant veuille bien venir la délivrer… Avais-je vu le film, ou seulement regardé les images de l’album Walt Disney ? Ce qui est sûr est que cela m’a marquée.

Depuis, je ne supporte plus les bouquets laissés à dormir dans leur cristal translucide.

Alors que ces fleurs-là, leurs pétales si doux se mêlant au sable et pleurant encore de rosée… je ne pouvais pas rester insensible. Je pris une photo. Sur le cliché, les ombres des tiges se profilaient clairement, dédoublant les lignes, le noir jouant avec les couleurs grises et beige des galets, et les traces triangulaires des pattes de mouettes. Plusieurs teintes de rose, du vert printanier, du beige, du gris. Un tableau en soi.

Décidément, je penchais pour une rencontre. Deux amoureux, ou deux futurs amants qui s’étaient croisés, pourquoi pas, sur un site de rencontres en ligne, ou dans une soirée du temps où les soirées « en présentiel » existaient encore, et qui avaient eu envie de se flairer à nouveau, de se humer. De humer leur souffle, de croiser leurs doigts, d’humecter leurs lèvres aux mêmes embruns salés. Alors, pourquoi pas un rendez-vous sur la plage, malgré le couvre-feu. Après 19 heures en tout cas, je voyais ça comme ça, pour profiter seuls de la lune pas très ronde mais brillante cette nuit-là ?

Ils se sont trouvés, ils ont marché, peut-être se sont-ils allongés là, le bouquet de roses entre eux. Pourquoi pas ?

« Pourquoi pas, mais il n’y a pas les traces », me dit mon compagnon.

C’était vrai. Alors… Alors, je ne voulais pas renoncer à mon idée. « Alors, ce sont deux fantômes, mais un vrai bouquet, qu’ils ont posé entre eux comme, au temps de l’amour courtois, l’épée nue entre un chevalier et sa dame. » Mon compagnon fit la moue. « Un peu triste d’en être toujours là pour des fantômes, non ? »

Vrai. Je me penchai pour chercher l’empreinte qu’aurait laissée l’étreinte. Mon ombre s’étendit sur le bouquet, j’aime bien mon ombre quand le soleil est encore rasant, elle est plus élancée et juvénile que ma pomme. Je pris une deuxième photo.

Mon compagnon s’était éloigné. Il m’attendait un peu plus loin. « Allez, ne sois pas déçue. Regarde là, on voit les traces d’un mot écrit avec des galets, mais le sable et les algues portées par les vagues l’ont en partie effacé. Ce sont eux, tu crois ? »

Je le regardai, un peu méfiante. Mais il ne se moquait pas, ou bien si gentiment, et je lui dédiai un sourire de reconnaissance. « Oui, ce sont eux », décidai-je.

Ce n’était pas très vraisemblable, en fait, le mot écrit était sans doute plus ancien que le bouquet. Par temps calme, les choses changent peu sur cette grève sans marée. Et il n’avait pas fait de vent la nuit passée, de ce vent qui soulève les vagues vers la lune.

Nous cherchâmes à déchiffrer, en vain.

Un peu plus loin, la cabane à loups nous regardait. Elle se moquait explicitement, à travers la paire de lunettes diaboliques qu’un plaisantin avait insérée dans son mât central. La base en pierres sèches, adossée au cordon dunaire, avait été dotée d’un demi-toit récemment, une peau de mouton ou quelque chose comme ça.

L’idée d’une rencontre amoureuse ne me quittait pourtant pas.

« Peut-être aussi que l’amoureux, ou l’amoureuse, a photographié le bouquet et l’a ainsi envoyé à l’aimé, qui ne pouvait être présent ? » dis-je.

Et peut-être même que la veille, quand ils étaient encore ensemble, ils avaient gravé un mot, leur mot secret, avec des galets – à la lisière des vagues pour que personne d’autre ne puisse le déchiffrer, le deviner…

Mais moi, si, je devinais un parfum de désir.

Non ?

Elle pouvait bien se moquer, la cabane, et mon compagnon sourire, je tenais mon roman, et il me tiendrait bien le temps de la promenade. En ces temps de semi-confinement, dépasser la limite kilométrique autorisée de quelques centaines de mètres, se donner rendez-vous la nuit sur une plage en bravant le couvre-feu, faire danser ses mains à distance, s’aimer par-dessus un bouquet de roses, c’est de l’aventure, c’est du roman. N’est-ce pas ?

0roses sur le sable