Piste d'écriture: rencontre et points de vue narratifs
La guide cochait les noms sur sa liste tandis que les voyageurs patientaient seuls, ou par petits groupes de deux à quatre personnes, sur le quai. Hugo, entouré de trois autres jeunes, avait l’air de haranguer ses copains, avec de grands gestes et effets de manches qu’on imaginait parfaitement au-delà de sa tenue décontractée T-shirt jeans baskets. Les autres l’approuvaient de hochements de tête soumis ou conquis. Soumis ? Conquis ? Allez savoir. Parmi les autres voyageurs, il y avait tous les âges et tous les styles. Un petit couple d’amoureux. Un autre, la soixantaine élégante dans son allure, sûrs de soi sans arrogance, et dans sa tenue estivale, confortable et de bonne coupe. Une jeune femme les accompagnait, la trentaine épanouie, en short et chemisier, une longue chevelure blonde étalée dans le dos. Quatre septuagénaires endimanchés et impatients. Un groupe de sixties anachroniques. D’autres enfin, quelconques, presque invisibles dans leurs vêtements adaptés, sans extravagance ni signe distinctif.
La guide avait fini de cocher sa liste, mais elle restait immobile, impassible. Un septuagénaire l’interpella vivement.
— Enfin, mademoiselle, qu’est-ce qu’on attend ?
— Il manque une passagère.
— C’est inadmissible ! Ne pouvons-nous pas commencer à embarquer ?
— Elle ne va sûrement pas tarder. D’ailleurs, nous sommes largement dans les temps.
L’autre rejoignit ses compagnons qui approuvaient son mécontentement, à en croire les mines sévères qu’ils affichaient.
Enfin, Iris fit son apparition, comme une reine. Souriante, le chignon savamment coiffé-décoiffé, elle avançait sans hâte, d’un pas aérien qui faisait ondoyer sa robe longue en voile de coton imprimé de fleurs colorées. Elle s’approcha de la guide et déclina son identité : Iris Bonamour.
— Bien, déclara la guide, nous sommes au complet. Je me présente : Clémentine. Vous pourrez vous adresser à moi chaque fois que vous le souhaiterez. Je suis là pour répondre à toutes vos question, bla-bla-bla…
Clémentine parlait dans le vide. Tous les regards s’étaient tournés vers la nouvelle arrivante, exprimant les sentiments les plus variés.
Hugo, ne voulant surtout pas manquer l’occasion de se faire valoir, s’empressa aussitôt, la prenant sous le bras et la guidant vers ses copains.
— Voici Clément, Gaspar et Ludovic, et votre serviteur, Hugo, dit-il en s’inclinant dans un geste emphatique.
Iris, le sourire encore plus lumineux, serra la main de chacun.
— Vous voyagez seule ? s’enquit Gaspar, le plus chevelu et le plus brun de la bande, chemise de coton bleue par-dessus le jean.
— Oui et non.
— Comment ça, oui et non ?
—Mes parents m’ont offert ce voyage pour mes dix-huit ans. Je les accompagne, eux et ma sœur Chloé.
Les mines réjouies des garçons se muèrent instantanément en un rictus surpris voire inquiet. Leurs regards se posèrent sur chaque passager en se demandant qui étaient ces parents-là, s’ils avaient remarqué la scène et l’audace de Hugo, et quelle serait leur réaction. Mais Iris libéra leur esprit en prenant congé d’eux, avec naturel et légèreté.
— Excusez-moi, je dois rejoindre ma famille.
Elle se dirigea vers le couple de sexagénaires. Sa sœur la serra dans ses bras.
On embarqua.