Albert marche, observe, surveille… Ennuyé parfois, souvent même. Mais il le fait, c’est son métier. Ce square est son domaine. Il s’efforce de rester attentif, d’oublier sa jambe qui le fait souffrir. Rien ne doit échapper à sa vigilance, car il se sait lui-même surveillé. Le square doit rester propre, bien tenu ; Albert doit signaler les dégradations lorsqu’il les constate, et on lui reprochera sa négligence, s’il y en a. Ainsi va la vie d’un gardien municipal.
Ce qu’il redoute par-dessus tout ce sont les journées de vacances scolaires, lorsque ce parc se trouve envahi par les enfants qui jettent leurs papiers de bonbons n’importe où, ignorant les poubelles pourtant nombreuses ; qui courent, se bousculent, tombent, pleurent… Leur agitation, leurs cris et même leurs éclats de rires bien trop bruyants, le fatiguent.
Il préfère bien sûr les moments calmes des amoureux qui se promènent tranquillement en se tenant par la main ; ou qui, assis sur les bancs, échangent discrètement baisers et caresses. Eux ne cherchent surtout pas à attirer les regards ; ils se voudraient seuls au monde.
Mais aujourd’hui est jour sans école et Albert a fort à faire. Il passe et repasse dans les allées à l’affût de quelques gamins à gronder. On le craint, il le sait, et lorsque les enfants l’aperçoivent, ils cessent immédiatement leurs bêtises, s’arrêtent, le regardent passer… « Bonjour monsieur » osent les plus audacieux. Il sait alors prendre un air sévère et autoritaire, l’air de celui qui ne laissera rien passer.
Pourtant Albert aime les enfants. Grand-père lui-même, il fond de tendresse devant ses petits-enfants. Mais c’est différent. Ici, dans le parc municipal il doit leur apprendre à respecter les lieux et sévir lorsqu’il le faut.
Malgré son âge il passe de nombreuses heures debout, marchant les mains dans le dos, scrutant de son mieux le moindre bosquet, le moindre parterre fleuri, tous les endroits interdits aux jeux, sans cesse à l’affût des petits désobéissants, aidé en cela par sa redoutable sagacité.
Mais soudain, voilà qu’à quelques mètres, au détour d’une allée, il remarque des fillettes, en grande conversation, assises sans se gêner sur un grillage qu’elles risquent d’abîmer. « Interdit » pense-t-il aussitôt, saisissant immédiatement son sifflet. Son unique arme !
Pourtant il se ravise. Il ne l’utilisera pas. Les sifflets, les sirènes… Il se souvient de scènes de bagarres dans ses jeunes années, de manifestations contre la guerre en Algérie, et de la police qui débarquait brutalement, actionnant leurs insupportables sirènes…
Ces petites ont l’air calme. Elles discutent. Il va simplement s’approcher et leur rappeler le règlement. Pas besoin de sifflet. Avec l’expérience il a appris à discerner les garnements, qui lui donneront du fil à retordre, et les autres, les étourdis, les oublieux, tout penauds lorsqu’ils doivent essuyer des reproches, et avec qui il sait se montrer moins sévère.
Christiane Koberich