Piste d'écriture: 4 éléments, ici un lieu: le train, un objet: un briquet, une personne: une femme prénommée Maria, un moment: le début du printemps.
Le mois de juin est de retour et avec lui le printemps explose. La nature laisse éclater ses couleurs, la chaleur chasse les quelques restes de l’hiver. Confortablement installée en première classe du train, Maria glisse son regard sur les paysages qui défilent à grande vitesse, passant d’une rivière en crue à une forêt de feuillus, d’un champ de colza en fleurs à un village encore endormi, puis à une nouvelle forêt de conifères.
Les quelques jours qui s’annoncent pourraient la remplir de bonheur : elle va passer une semaine chez son oncle et sa tante, retrouver ses cousins qu’elle a tant fréquentés lorsqu’ils étaient enfants, lorsque leurs grands-parents vivaient encore et réunissaient la famille à toutes les vacances scolaires. Ah ! Ils en ont connues, des parties de rigolades, de ballons, de jeux de cartes où le perdant accusait inévitablement les autres d’avoir triché…
Pourtant la joie qu’elle éprouve en se rapprochant d’eux et de leurs souvenirs communs, depuis hier, est ternie par la perte d’un des objets auxquels elle tient le plus : un zippo, le briquet de son grand-père ; un vieux zippo abîmé par le temps dont tout le monde autour d’elle se moque, lui demandant comment elle peut encore se servir de ce truc. Mais elle seule sait pourquoi elle a besoin de l’avoir toujours avec elle, le caressant lorsqu’elle est soucieuse ou triste, ou quand elle a besoin de réfléchir. Il est pour elle un ancrage, comme si ce grand-père à travers son briquet continuait à la rassurer, à l’apaiser, comme il avait toujours su le faire.
Peut-être aujourd’hui trouverait-il les mots pour la consoler. Peur-être lui dirait-il de sa voix de basse : « Allons fifille, ce briquet c’est le mien, mais ce n’est pas moi. Tu n’as pas besoin de lui pour penser à moi ; je suis toujours dans ton cœur, avec toi, toujours. » Il lui dirait peut-être cela, mais là maintenant ça ne suffirait pas à la réconforter.
Elle ne peut s’empêcher de revivre les évènements qui ont abouti au vol de son zippo. Car elle en est convaincue, il s’agit d’un vol.
Elle se revoit la veille à cette terrasse de café. Son inquiétude à l’idée de ce voyage en train (peur de ne pas entendre le réveil, peur d’être en retard…) l’avait amenée à sortir le briquet de son sac pour le sentir un moment dans sa main ; puis elle l’avait posé sur la table lorsque l’homme assis à côté lui avait demandé l’heure, tandis que sa compagne se levait de sa chaise et s’éloignait, frôlant la table de Maria. Elle est sûre que cette femme qui portait un tee-shirt décoré d’une énorme panthère noire, a profité de l’inattention de Maria pour dérober ce zippo. Et quand elle s’est aperçu de sa disparition le couple était déjà loin.
Lorsqu’elle est allée faire sa déposition au commissariat, le policier l’a écoutée, peu convaincu : « Vous êtes sûre que vous ne l’avez pas perdu ? Mais qui va voler un vieux zippo, comme vous le décrivez ?! »
Maria a réussi à retenir ses larmes devant lui puis elle a éclaté en sanglots plus tard. « Bien sûr il y a des plaintes plus graves dans un commissariat, se dit-elle, mais quand même, ces policiers n’ont aucun tact. Et moi j’adorais mon grand-père. »
Christiane Koberich