- Hervé ! C’est l’heure !...
À la voix de sa mère, Hervé sait la robe qu’elle porte. Aujourd’hui, c’est la voix de la robe en taffetas vert amande qui bruisse comme le feuillage de l’eucalyptus au-dessus de sa tête quand il joue à la dînette avec Jacqueline. La robe de l’indulgence. Il y a des chances pour qu’elle ne l’oblige pas à terminer sa viande comme avec la robe grenat qui la rend intraitable.
Hervé, à regret, abandonne son poste de guet derrière le muret. La plage ondule sous l’air chaud et aspire le bleuté de l’eau avec des clapotis goulus de mangeur de soupe. Il traverse le jardin par le chemin où il est certain de retrouver ses repères.
Hervé se déplace sur un paysage fait de taches juxtaposées aux contours flous. Aucune forme ne rend cet heureux agencement de couleurs et d’ombres, sauf lorsqu’elles arrivent à portée de sa main. À ce moment, en même temps qu’il les touche, objets et personnes pénètrent brutalement sa conscience et son regard peine sous le choc.
– Hervé ! c’est l’heure te dis-je ! Qu’est-ce que tu fabriques ?
Hervé Cauvel tressaille. Édith, sa femme, gesticule dans l’encadrement de la pore. Il a horreur d’être dérangé ainsi, en pleine rêverie. Vivement, il s’éloigne de la fenêtre, remet ses lunettes aux verres épais de myope et constate…
Noëlle Châtelet, Premières lignes de la nouvelle « Gentil Coquelicot, Mesdames », dans le recueil À contre-sens, éd. Mercure de France 1989, Folio n° 2206
J’ai fait exprès de m’arrêter en pleine phrase, qu’importe ce qu’il constate, c’est forcément moins poétique que ce qui précédait. C’est un rêveur, que revenir au réel fait souffrir. On sent qu’il a besoin d’un monde parallèle pour survivre au quotidien. Pourquoi ? Est-ce sa personnalité ? Ou bien est-il poussé à se réfugier ainsi dans ses rêveries du fait du contexte ? Ou est-ce simplement un plaisir (et on peut comprendre pourquoi, à lire la description !)
Ses rêveries le mèneront-elles à changer des choses ? ou s’agit-il seulement d’un équilibre, d’un accompagnement ?
Voilà une première piste d’écriture, que vous mettiez en scène Hervé pour la suite de ce texte, ou un personnage de votre choix se trouvant dans une situation semblable.
Commentaire:
Le passage d’un état à l’autre est souligné par la reprise de la phrase (Hervé ! c’est l’heure !) un peu modifiée la deuxième fois. Et par le passage du seul prénom à un patronyme complet (Hervé Cauvel), ce qui est plus formel. Ici, il s’agit d’un adulte, qui a endossé des responsabilités d’adulte ; en tout cas, il est marié. Mais on pourrait avoir l’opposition famille / institution (collège, lycée, lieu de travail). Mais ce qui m’a fait choisir ce texte, c’est ce délicieux « À la voix de sa mère, Hervé sait la robe qu’elle porte ». Associer une voix à une tenue, une couleur, pour dire un état d’esprit. Cela permet aussi d’évoquer différentes facettes de sa mère, de manière légère. On est dans l’aquarelle. Le monde de la rêverie, comme celui de la myopie, est celui de l’aquarelle. Remettre les lunettes signifie retrouver la précision des formes, des distances, une certaine dureté aussi. Le flou est propice à une certaine liberté.
Ce sera la première piste d’écriture : votre personnage ne se contente pas de ses yeux pour se faire une idée de ce qui l’entoure, il est renseigné par une voix, un parfum, d’autres sensations. Et surtout, il les associe, pour juger du monde et de comment il va pouvoir interagir avec lui.
Une autre piste, sera de poursuivre le texte, ou encore de partir d'un extrait du texte, que vous aurez transformé à votre convenance.
Vous pouvez partir d’une phrase semblable, « À la voix de xx, yy sait la robe (ou autre) qu’elle porte ». Vous pouvez aussi vous inspirer de la phrase : « Hervé se déplace sur un paysage fait de taches juxtaposées aux contours flous. Aucune forme ne rend cet heureux agencement de couleurs et d’ombres, sauf lorsqu’elles arrivent à portée de sa main. »
On voit comment il a transformé un handicap (sa myopie, peut-être forte depuis l’enfance), en autre manière de percevoir, tout aussi riche et surtout, plaisante.
Jouez avec cette richesse de perceptions, et cette faculté à associer.