Les injonctions contradictoires. J’ai choisi le fils, Dimitri pour raconter la suite que j'imagine à cet extrait.
Mes parents avaient organisé un week-end dans leur maison de campagne. Ils avaient acheté cette maison alors que je devais avoir cinq ou six ans. Depuis ils avaient divorcé, mais ils l’avaient gardée en commun, et y venaient chacun leur tour avec leur nouvelle compagne ou compagnon. Moi j’avais eu le privilège de partager ces moments de bonheur avec lui ou avec elle, au moins jusqu’à l’été dernier.
Une ou deux fois par an, ils organisaient un séjour commun, à l’occasion d’un évènement particulier, mon anniversaire quelquefois, la Toussaint parfois et plus rarement Noël. Cette fois, ce fut en prévision d’une poussée de cèpes qui était annoncée. Il faudrait aller dans les bois, ramasser les champignons et aussi les châtaignes que nous mangerions au coin du feu de cheminée. Un an plus tôt encore, je me serais réjoui de cette partie de campagne. Mais dans le train qui me conduisait à la gare de Laroquebrou où ma mère viendrait m’attendre, j’imaginais que cette fois-ci, ce séjour deviendrait mon pire cauchemar !
Le bac passé, j’avais suivi le chemin tout tracé par mes deux pères, le vrai et le beau, qui l’un et l’autre avaient suivi des études supérieures brillantes.
Il faut bien l’avouer, ce n’était pas mon cas. J’ai tout de suite compris que je m’étais fourvoyé, mais je n’avais pas réussi à leur confier mon désarroi. J’aurais pu, sans doute, me confier à ma mère qui, si elle ne s’était pas opposée à ce projet, avait quand même montré quelques réticences.
Mais c’est un autre sujet qui m’avait empêché de lui parler. Je ne connaissais personne dans cette ville de Toulouse où on m’avait installé. Aussi, pour essayer de me faire des amis, je m’étais inscrit à un cours de théâtre. Là, contrairement à ce que j’éprouvais à la Fac, je me suis tout de suite senti à mon élément. Les premiers temps je suivais les cours dans la journée et le soir j’étais à l’atelier avec les copains., mais petit à petit j’ai délaissé les études de sciences pour me consacrer aux joies de la déclamation.
J’avais réussi à minimiser mes mauvais résultats de la fin de première année, mais là, à cette veille d’Halloween, je ne pourrais plus faire silence sur mes échecs.
Avec la troupe je m’étais fait une bande de copains, copines, et nous passions beaucoup de temps ensemble, à répéter ou simplement à boire des pots. Parce que mon prénom était Dimitri, mes amis m’avaient rebaptisé « Le Russe ».
Dans le groupe, il y avait un garçon qui se nommait Édouard. Je passais beaucoup de temps avec lui. Nous refaisions le monde, heureux d’être ensemble. Les choses auraient pu en rester là, mais un soir où nous avions tous bu un peu plus que d’habitude, Amélie, une fille de la bande, m’a demandé quand nous nous déciderions à annoncer que nous étions ensemble.
Je me souviens très bien, je n’avais pas pu m’empêcher de rougir et de lancer un regard à Édouard. Il me fixait, les yeux embués. Je sentis alors une chaleur me traverser le corps. J’eus envie de me lever pour le prendre dans mes bras. Mais au contraire je sortis, en déclarant : « C’est vraiment n’importe quoi ! ».
Pendant deux semaines, je n’allai plus à la salle, pas plus qu’à la fac. Enfin je me décidai à reprendre le chemin du théâtre. Mais en arrivant, j’ai vite compris que celui que j’espérais trouver, n’était pas là. J’appris incidemment que lui non plus n’était pas revenu. Ce soir-là, je fus particulièrement mauvais quoiqu’on me fasse faire. Je rentrai chez moi, démoralisé. Mais dans ma boite aux lettres je trouvai un mot, me proposant de nous retrouver au bar du Pont-Neuf le lendemain soir.
Edouard était déjà là quand je suis arrivé, je l’aurais reconnu de très loin, même sans mes lunettes, pourtant je suis assez myope. Je me suis approché par derrière et lui ai mis mes mains sur les yeux. Je l’ai senti frissonner. Il s’est levé, m’a pris la main et m’a entraîné dehors. Depuis, j’étais amoureux.
Dans ce train, qui avançait trop vite à mon goût alors que d’habitude je me plaignais de sa lenteur, j’élaborai toutes sortes de scénarios pour expliquer que j’avais arrêté ces études de sciences, que je voulais faire du théâtre… et enfin annoncer que j’étais amoureux d’un garçon. Mais vous pouvez imaginer que je ne trouvai rien de convainquant.
Nous allions bientôt arriver à cette fameuse gare de Laroquebrou qui ne serait bientôt plus desservie. Le conducteur annonça l’arrivée imminente. Le cœur serré, j’ouvris la porte du wagon et aperçus ma mère sur le quai, flanquée de ses deux hommes. J’hésitai à sortir, prêt à continuer jusqu’à Aurillac où j’aurais pu trouver un moyen de repartir en sens inverse. Mais si les hommes ne m’avaient pas vu, j’en étais sûr, je savais que ce n’étais pas le cas de ma mère. Aussi descendis-je, la peur au ventre. Encore une fois, allais-je mentir ?
Je m’approchais du trio et j’embrassai ma mère. Elle me serra très fort, d’une façon inhabituelle. Je la regardai, interrogatif. Elle mit, alors, un doigt sur la bouche pour me faire comprendre de garder le silence.
En arrivant à la maison, elle me prit à part, et m’expliqua qu’elle savait. Devant mes yeux écarquillés, elle précisa qu’elle savait pour la fac, pour le théâtre et enfin pour Édouard. Quand je lui demandai comment elle avait appris, elle ne me répondit pas mais m’entraîna à l’intérieur.
Mon père était venu seul, sa femme était chez sa mère malade. Éric, le compagnon de ma mère, préparait un grand feu de cheminée pour une soirée qui s’annonçait froide. J’étais très mal à l’aise. Alors on entendit un klaxon à l’extérieur. Ma mère me demanda d’aller voir ce qui se passait.
Je vis sortir d’une voiture un couple que je ne connaissais pas, puis de la porte arrière une jeune fille et, de l’autre côté, Édouard ! Je rougis et ne sus pas où me mettre. La femme s’avança vers moi, me tendit la main et me dit qu’elle connaissait mes parents depuis plusieurs années…
...Une secousse terrible me réveilla brusquement. Le train venait de renverser un sanglier. Nous ne pourrions pas repartir avant un long moment. Cette fois, j’aurais tout le loisir pour trouver une fin honorable à cette histoire.